lundi 10 juin 2019

Pourquoi il est si compliqué de parler de santé mentale

Etant encore largement taboue, la maladie mentale est méconnue et effraie. La majorité des personnes ont des a priori. Par réflexe, on a tendance à ne pas prendre les personnes atteintes au sérieux. C’est l’invisibilité des symptômes qui fait qu’il est parfois difficile de croire qu’une personne physiquement en bonne santé puisse aller mal.
Je me rappelle avoir jugé ou m’être moquée de proches en me disant que c’était bien pratique de tomber malade pour éviter certaines situations. Maintenant je sais que l’humeur peut changer d’une seconde à l’autre, que les angoisses peuvent être si envahissantes qu’elles empêchent toute vie sociale, que le repli sur soi fait partie des symptômes annonciateurs de la maladie mentale et que la paranoïa fait avoir des comportements bizarres (cf. post antérieur "ma maladie mentale").
Au début, aucun diagnostic n’est posé, les médecins ont besoin de temps pour écouter et comprendre le patient. Cela rend le début de la maladie très difficile, il n’y a pas de mots pour dire ce que l’on vit. Durant une crise, la communication avec le patient est très difficile, voire impossible. Il faut attendre de longues semaines, voire de longs mois pour que le patient et le corps médical puisse comprendre ce qu’il lui arrive. Durant cette période, difficile donc de dire à son entourage : « je suis internée en hôpital psychiatrique, mais je n’ai pas encore de diagnostic. J’ai peur de devenir folle. » Cela inquièterait tout le monde. D’autre part, dû justement à cette stigmatisation, on réfléchit bien avant d’annoncer telle nouvelle. Cela pourrait avoir des répercussions, sur le plan professionnel notamment.  
En dehors de cette phase difficile qui suit la crise, je pense que la lourdeur du sujet fait qu’il soit difficile à aborder. On ne lance pas entre le fromage et le dessert « Ah, au fait, je fais des psychoses ». Souvent quand j’en ai parlé à mes proches, on a parlé de toutes les étapes de la maladie, les causes et les conséquences. Avec une amie que je vois rarement, on en parlait beaucoup et même si ça me faisait du bien, j’avais toujours l’impression après de m’être trop attardée sur le sujet et d’avoir gaspillé du temps de nos rares moments ensemble. Alors avec d’autres, j’avais moins envie de rentrer dans les détails, car j’avais besoin de parler d’autre chose.
Au travail, je ne veux pas en parler. La première raison est que tout se répète et se déforme et que cela me dérangerait vraiment que les parents et les élèves soient au courant. Par rapport à mes collègues et à la direction, c’est plutôt par prudence. Dans le contexte actuel, je sais que je serais épaulée et comprise, mais qui sait de quoi l’avenir sera fait. C’est surtout par peur que cette information soit un jour ressortie dans un contexte moins favorable que je n’ai jamais parlé ouvertement de ma maladie. Cependant, si je venais à retomber malade, je ferais peut-être le choix d’en parler pour pouvoir négocier une reprise du travail progressive par exemple. Dans mon établissement, il y a eu cinq burn-outs en cinq ans, alors ça devient malheureusement monnaie courante.
On met du temps à apprivoiser la maladie, à l’accepter et à retrouver une vie normale. Dans ce contexte, il n’est pas évident de s’ouvrir aux autres. Dans mon cas, j’ai traversé, après mon premier épisode psychotique, les états de dépression, de déni, de colère (pourquoi moi ??), de laisser-aller et finalement d’acceptation. A partir de cette dernière étape très apaisante, on retrouve pleinement la confiance en soi et on peut enfin prendre du recul sur la maladie. Là, le discours peut s’organiser et il est plus facile d’en parler. Car oui, la maladie mentale est une maladie du cerveau, la pensée et l’approche au monde sont réduites à néant ou fortement déformées. Et ça, ça attaque sérieusement la confiance en soi. La maladie est un tel bouleversement qu’on a vraiment l’impression de repartir de zéro. Avec la peine et la douleur qu’implique la perte de sa vie normale. Le temps que le cerveau s’en remette, on est limité dans ses actions, on ne peut pas mener une vie normale. Et quand on est guéri, certaines limitations persistent. Mais la confiance en soi revient. 

Il faut absolument libérer la parole à ce sujet, cela rendrait beaucoup de choses tellement plus simples. Cela contribuerait sûrement à rassurer les patients. Ce serait bien si chaque personne qui tombe malade sache qu’il existe des traitements et que cet état ne sera pas perpétuel, que sa vie n’est pas fichue. Le sommeil, le temps et la parole sont les remèdes naturels. Pour le reste, dans nos sociétés, place à la chimie (cf. post antérieur "mon quotidien sous anti-psychotiques")





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Cohabiter avec ses parents   Nous avons fait réalité, il y a 6 ans, ce qui serait un cauchemar pour beaucoup : nous vivons avec mes pa...