J’ai peu dormi ces derniers jours, je n’arrête pas de penser
à plein de choses. Tellement de questions et de doutes traversent mon esprit.
C’est de pire en pire, mon cerveau aborde tous les aspects de ma vie, mon
passé, mes choix et mon parcours professionnel, ma famille, mes amis. Il
retourne tout dans tous les sens. J’ai 29 ans, je partage un trois pièces avec
mon copain dans une ville de taille moyenne et je viens d’avoir un poste de
fonctionnaire dans un collège de campagne allemand. Mon salaire m’impressionne
un peu et je me mets la pression pour être à la hauteur. En même temps après
toutes ces années d’études acharnées, j’ai du mal à garder un rythme de travail
soutenu. J’ai enfin atteint mon objectif et j’aurais surtout besoin de souffler
un peu. Mais il faut continuer : s’adapter à un nouvel établissement, de
nouveaux collègues, suivre des réunions où je ne comprends pas encore tout,
mener des classes de 23 adolescents turbulents. Je ne pose pas trop de
questions aux autres, je me dis que maintenant, je suis titulaire, il faudrait
que je sache.
Tout va très vite, c’est la rentrée de janvier, je donne un
cours de 4ème sur les vêtements et les couleurs que j’avais bien
préparé pendant les vacances avec une amie. Les élèves apprécient, et il y a
même S., qui d’habitude s’ennuie à mourir qui participe. J’ai cette étrange
sensation de m’observer de l’extérieur faire mon travail. En salle des profs,
une collègue me dit que je dois assister à la réunion de l’après-midi. Je dis
que non, que ça ne me concerne pas. De toute façon je ne me sens pas dans mon
état normal, j’ai besoin de rentrer. L’après-midi est très pénible, je me fais
des films, je suis persuadée que mes collègues et mon chef peuvent lire dans
mes pensées. J’ai peur à l’idée qu’ils découvrent des choses sur moi. Je sens
l’angoisse monter. Je commence alors à coucher sur le papier tout ce qui me
traverse l’esprit. Mais mes pensées sont tellement rapides et incessantes que
l’écriture ressemble à un toc. Je fais des vas et viens entre le salon et mon
bureau pour écrire. La fatigue accumulée et la nervosité montante me font
littéralement perdre la boule et je me rends compte qu’il y a un problème grave
et que je dois aller voir un médecin.
Je vais chercher mon compagnon au travail à pied. On décide
d’attendre un peu avant de nous rendre aux urgences psychiatriques. On fait une
promenade, j’ai du mal à suivre la conversation. Il me montre des choses dans
les vitrines et en ville qui me sont familières et qui me plaisent pour essayer
de me calmer. Une fois à la maison, ça empire encore, je n’arrive plus à
l’écouter tellement mes pensées sont bruyantes. On prend la dure décision
d’aller à l’hôpital psychiatrique. S’ensuit une très longue nuit où, après la
première discussion avec la psychiatre de garde qui veut surtout s’assurer que
je n’ai pas fait de tentative de suicide ni que j’ai été maltraitée, on
m’emmène en ambulance au service des urgences pour faire tout un tas
d’analyses (En psychiatrie, il faut écarter tout symptôme physique avant de s’intéresser
au psychisme). Les médecins pensent que je suis droguée. Très excitée, je fais
des blagues, je corrige le médecin de garde bulgare sur son allemand
(ironie !), puis j’ai peur d’aller seule aux toilettes. Au moment du
scanner, je panique totalement persuadée que le passage dans cette machine va
me faire oublier mon espagnol. Ils finissent par m’administrer un calmant pour
pouvoir faire le scanner. Au réveil quelques heures plus tard, mon copain et
moi sommes dans une petite salle avec deux couchettes et je repars pour un
tour ! Je suis convaincue d’être dans une pièce de théâtre et ne sais plus
quelle langue parler avec le personnel. De retour à l’HP, je décide de rester,
car je n’en peux plus et j’ai droit à un somnifère. Georgeounet est aussi sur
les rotules et surtout dans l’incompréhension totale. Il appelle mes parents,
puis mon collège pour les prévenir. Fin du premier épisode psychotique.
Lors de mon dernier rendez-vous avec ma psychiatre, j’étais
émue de me retrouver 6 ans après dans la même cour d’hôpital. Cette fois avec
un diagnostic posé, un traitement adapté et de grands progrès dans le
rétroviseur. Le trouble de l’adaptation, c’est le rhume de la psychiatrie et la
dépression c’est une maladie qui touche tellement de personnes et même 20% des
mères après l’accouchement. Le stress qui a généré mes épisodes psychotiques
était dû à ce trouble de l’adaptation. L’épisode psychotique ou bouffée
délirante est le point culminant d’une longue période de repli sur soi (moins
de contacts sociaux, de fausses croyances, mauvaise perception de la
réalité). La période qui s’ensuit où il
faut se relever physiquement (épuisement) et mentalement de ce choc (perte de
tous repères et perte de contrôle sur ses pensées et faits et gestes) a été
diagnostiquée chez moi comme une dépression.
Je ne sais pas si 2019 aura été l’année de la guérison, mais
j’ai réussi au long de ces six années à repérer les symptômes avant-coureurs et
à trouver des stratégies pour éviter le pire. Maintenant je sais m’arrêter quand
c’est nécessaire. J’ai compris qu’un arrêt de travail de quelques jours ou un
lave-vaisselle en moins à 20 heures peuvent m’épargner 6 semaines d’HP et 6
autres dans un état dépressif-fébrile.
En 2019, j’ai aussi eu l’impression de retrouver mon niveau
de confiance en moi d’avant. Je n’ai plus peur des disputes, je ne remets plus
sans cesse mes actions et mes dires en question. Je me suis enfin lâché la
grappe ! La vie est plus douce et je n’ai jamais été aussi heureuse.
Cette maladie m’aura fait rater mes débuts dans mon collège
actuel, mon enterrement de vie de jeune fille et une partie de l’allaitement de
ma fille. Mais je suis très contente d’avoir pu accomplir tellement de choses
malgré elle. Grâce au soutien infaillible de mes proches et à ma volonté de guérir,
j’ai pu continuer à travailler à temps plein, me marier, acheter une maison, avoir
une fille et voyager.
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